Discussion à propos des réponses.
Qui partage cette thèse et ces conclusions?
Pour l’heure (en 2014), cette vision n’est partagée par quasi aucun chercheur spécialisé sur ce sujet. En effet, mis à part ceux qui pensent que la civilisation n’est pas du tout en danger, plusieurs autres sont arrivés à des conclusions voisines de celle exposée ici, mais moins pessimistes. (Voir lectures suggérées). Tous admettent cependant que si rien n’est entrepris immédiatement pour changer la trajectoire suivie par notre civilisation, le crash sera inévitable. Tous gardent toutefois l’espoir que le génie humain sera capable de modifier cette trajectoire à temps afin d’éviter la catastrophe.
Les stratégies qui retiennent la plus grande attention pour éviter l'effondrement sont à ce jour : la simplicité volontaire, la troisième révolution industrielle, la transition écologique ou énergétique, la lutte contre les changements climatiques et la décroissance programmée de notre système économique. Toutes ces stratégies ont en commun une volonté de décroissance des activités humaines soutenues par les énergies exogènes. Selon les défenseurs de ces stratégies, sans rien perdre des bienfaits de la civilisation, mais en modifiant drastiquement nos comportements dans un domaine donné comme l’économie, en adoptant d’autres sources d’énergies, d’autres moyens de transports, d’autres méthodes d’agricultures, etc., nous pourrions faire en sorte que notre civilisation soit durable et soutenable.
Il est probable que les stratégies proposées vont dans la bonne direction, mais il est aussi fort probable qu’elles arrivent bien trop tardivement et ne soient pas suffisamment holistiques. En effet, la plupart des chercheurs admettent que les risques d’effondrement de notre civilisation est grande si les mesures spécifiques qu’ils préconisent ne seront pas entreprises à temps. Toutefois, avant de prétendre que telle ou telle stratégie sauvera notre civilisation, un certain nombre de questions sur sa faisabilité en un temps si court doit être envisagé.
Nous pourrions par exemple nous poser les questions suivantes :
1°) Laquelle, parmi les nombreuses approches proposées devrait avoir la priorité et quels critères devrait-on utiliser pour justifier ce choix ?
2°) Avec quelle vitesse la ou les différentes approches de correction de trajectoire pourront être instaurées dans les différentes partie du monde ?
3°) Est-il raisonnable de penser que toutes les grandes puissances industrielles et économiques entreprennent d'un commun accord une décroissance volontaires sous l’impulsion de leur chefs politiques ou d’une institution comme l’ONU ?
4°) Jusqu’où serait-il nécessaire de décroitre pour assurer une durabilité à la civilisation mondialisée et quel flux maximum d’énergie peut-on garantir durablement? (Voir le 2ème exposé)
5°) Est-ce que le ou les approches proposées nécessiteraient obligatoirement une gouvernance mondiale pour gérer les flux d’énergie alloués durablement à chaque pays ? Quelles en seraient les répercussions sur la perte de liberté nationale et individuelle et sur le bien-être social ? Qu’elle serait la résilience des peuples envers les changements imposés par une gouvernance mondiale ?
6°) Existe-t-il un outil économique faisant consensus et reconnu capable de procéder à de tels changements socio-économiques. Sinon, combien de temps serait-il nécessaire pour le développer ?
7°) Existe-t-il une méthode pour évaluer les chances de réussite d’une approche de gestion de risque avant de la mettre en pratique ?
Remarquons encore que toutes les stratégies proposées cherchant à rendre durable notre civilisation imposent des changements considérables au sein de notre paradigme sociétal. Mais changer un paradigme de cette importance demande une modification drastique de la manière de penser et d’agir. Si cela ne devait concerner qu’un relativement petit groupe d’êtres humains tous les espoirs seraient permis. Mais il s’agit de modifications fondamentales au sein d’une population mondiale et de plus hétérogène à plusieurs égards. Dès lors, il faut s’attendre à ce que de grandes forces d’inertie s’opposent à cette modification ou au mieux freinent grandement la vitesse de ces changements. A-t-on alors la moindre idée du temps minimum nécessaire pour qu’un tel changement se fasse ? Si cette durée devait être bien supérieure à celle relativement courte qui nous sépare de l’effondrement présumé, alors ne vaudrait-il pas mieux consacrer le temps qui nous reste à s’organiser pour affronter ce qui nous attend et se concentrer sur ce qui pourrait encore être sauvé ?
Nous devons nous rappeler que la difficulté à éviter un obstacle augmente exponentiellement au fur et à mesure que diminue le laps de temps séparant le début de la manœuvre d’évitement d’avec celui de la collision prévue. Ceci implique que la stratégie d’évitement qui aurait été valable au moment de son étude, risque de ne plus l’être au moment de sa mise en œuvre car, entretemps, le problème aura grossi exponentiellement. Si de plus nous continuons à procrastiner en demandant des preuves mathématiques impossibles à fournir, si nous continuons à proposer des stratégies intellectuellement et humainement séduisantes mais inapplicables, si tous les points d’interrogations et toutes les différentes visions mentionnées plus haut ne restent que purs sujets de polémiques ou d'opinions, alors nous perdrons cette course contre la montre. Nous arriverons à une limite temporelle, si même nous ne l’avons pas déjà atteinte, au-delà de laquelle plus aucune action ne pourra protéger l’humanité d’un désastre sans précédent. L’effondrement de notre civilisation aura bel et bien lieu et le chaos qui devrait s’en suivre ne pourra plus être évité.
En conséquence, il serait prudent de considérer que la, ou les tentatives, pour sauver notre civilisation puissent échouer, auquel cas nous serions bien inspirés de considérer un plan B pour éviter un chaos post-effondrement.
Il faut bien voir que l'effondrement et le chaos qui devrait suivre ne se fera pas d’une manière hollywoodienne mais s'étendra vraisemblablement sur une, deux, voire trois générations. Les pays développés seront probablement les derniers à subir l'effondrement de leurs sociétés, mais le chaos auquel elles ne sauraient échapper tôt ou tard pourrait être encore plus important et plus dramatique pour leurs populations.
L’humanité perdra la quasi-totalité de son patrimoine culturel, scientifique et technologique. En règle générale, aucune nation civilisée, aucune personne ne sera vraiment épargné par cette horreur. Riches et pauvres, bons et cruels, forts et faibles, croyants et incroyants, prévoyants et insouciants, tous seront dans le même bateau. Seules peut-être, quelques tribus isolées vivant encore des bienfaits de leur environnement naturel, pourraient être en mesure de maintenir leur existence traditionnelle. Pour tous les autres, rien de positif ne sortira d'un chaos généralisé dans le court terme.
De même, il serait faux de croire, qu’après le chaos, tout va redémarrer comme avant. Certaines personnes pensent que, s’il y aura un effondrement de la civilisation, l'humanité sera replongée quelques siècles ou même quelques millénaires en arrière. Certaines de ces personnes considèrent que la vie à ces époques n’était en fait pas si mauvaise. Pour ces gens, un effondrement ne serait pas une tragédie, mais tout au plus un mal nécessaire. Toutefois les nostalgiques de l'époque médiévale, de l’Égypte antique ou des civilisations grecques pourraient être déçus. Il y a peu de chance que nous revenions à ces époques. Nous l'avons répété à plusieurs reprises : un système complexe est irréversible. Il n’y a aucune chance de retourner en arrière. Toutes les connaissances acquises jusqu’à ce jour risquent d’être détruite pour longtemps dans le chaos post-effondrement. L’humanité mettra probablement des siècles à s’en relever et nous ne savons pas vraiment dans quelle direction et sous quelle forme les sociétés humaines vont se développer par la suite.
Jared Diamond, dans son livre «Effondrement », a analysé les causes qui ont poussé certaines civilisations anciennes à s'effondrer d’elles-mêmes, c'est- à-dire sans avoir été conquises et remplacées par une autre civilisation. Parmi ces causes, il cite " l'incapacité des populations, des élites et des dirigeants à prendre conscience de ce risque suffisamment tôt, les empêchant ainsi de prendre les bonnes décisions qui auraient évité le drame ".
Si on s'en tient aux arguments développés dans cette série d’exposés, notre civilisation ne ferait pas mieux que beaucoup d'autres grandes civilisations qui l'ont précédée. Dans le passé, l’effondrement d’une civilisation ne conduisait pas obligatoirement à un chaos. Elle était souvent remplacée quasi immédiatement par une autre civilisation venant d'ailleurs sans passer par un état de chaos. Dans la situation actuelle, aucune autre civilisation venu de l’on ne sait où ne viendra rapidement remplacer la nôtre.
La nouvelle grande question est alors la suivante : Si notre civilisation mondialisée aura été incapable d’éviter son inéluctable effondrement, saura-t-elle alors prendre les mesures nécessaires pour éviter le chaos post-effondrement ? La question est importante car, si nous en étions capables, nous pourrions non seulement éviter à nos descendants une tragédie humaine sans précédent, mais nous serions aussi en droit d’espérer que l’effondrement de notre civilisation mondialisée converge vers une ou plusieurs nouvelles civilisations, plus harmonieuses, plus en phase avec les lois naturelles et par conséquent plus durable. Éviter le chaos devrait permettre à l’humanité de ne pas perdre complètement ce qu’elle a acquis en connaissance et en expérience au cours de ces derniers millénaires.
Il y a toutefois plusieurs conditions à cela:
La première est de prendre conscience de la possibilité du risque d’effondrement à court terme de notre civilisation.
La deuxième est, une fois cette prise de conscience réalisée, d’entreprendre des travaux permettant d’estimer ce risque et de le situer dans le temps, un peu comme cela a été fait dans ce site. Mais cette fois l’étude devrait mobiliser un grand nombre de chercheurs dans différentes parties du monde pour augmenter le degré de confiance des résultats de cette recherche. Nous y reviendrons.
La troisième est de prendre conscience que toutes études de stratégie permettant soit d’éviter, soit d’atténuer un chaos post-effondrement, doit se faire bien avant les premiers signes d’effondrement, d’où l’importance de satisfaire les deux premières conditions le plus rapidement possible.
Satisfaire ces trois conditions représente un énorme défi pour le monde civilisé. Aucune d’entre elles ne pourra être satisfaite sans le soutien, l'intelligence, l'honnêteté intellectuelle, le courage et la lucidité de chacun d'entre nous. Étant donné du peu de temps imparti et face aux énormes difficultés à surmonter, la mission semble quasi impossible. Il revient à tous ceux qui refusent de léguer un horrible chaos à leurs descendants de transformer ce qui n’est encore qu’une utopie en une utopie réalisable.
C'est seulement si ces trois conditions sont remplies que l'humanité aura alors le droit de rêver d'accomplir la plus belle, la plus difficile et la plus étonnante évolution pacifique de son histoire. Jamais, il n'aura été donné à cette dernière, en particulier à sa jeunesse, un objectif aussi noble et aussi passionnant pour développer un ou plusieurs nouveaux modèles sociétaux, plus en phase avec les aspirations de l'ensemble des êtres humains et non plus avec ceux de quelques meneurs ambitieux.
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